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HOMOPHOBIE – « C’est parce que je suis gay que j’ai été poignardé. » Ces mots sont ceux de Kévin, l’une des victimes qui témoignent dans Guet-apens, des crimes invisibles, film produit et diffusé à partir du 19 avril par Mediapart et dont la voix off est assurée par le chanteur Eddy de Pretto.

Fruit d’une enquête qui a duré plusieurs mois, réalisée par les journalistes Sarah Brethes, Mathieu Magnaudeix et David Perrotin, ce documentaire révèle l’ampleur d’un phénomène que l’on pouvait croire disparu : les pièges homophobes, parfois mortels, qui ciblent des hommes sur des applications ou des lieux de rencontre. Encore en 2023.

C’est ce qu’a vécu Kévin, 36 ans, par le biais d’une application de rencontre en mars 2019. Après avoir discuté pendant trois jours avec un homme, il décide de le rencontrer un soir, à Drancy. Mais à peine sorti de sa voiture, il se retrouve face à trois personnes avec un seul objectif : le détruire.

« Casser du PD »

« Je me suis fait tabasser. On m’a roué de coups », raconte Kévin. Lors de cette scène de violence, il se prend un coup de couteau qui lui perce le poumon. Les images de la caméra de surveillance qui a filmé la scène ce soir-là, diffusées par Mediapart, sont glaçantes. Il sera abandonné ainsi, sans téléphone et sans clefs de voiture, par ses agresseurs.

« Il a manigancé tout ça pour pouvoir, excusez-moi du terme, casser du PD », conclut Kévin, en parlant de l’homme qui l’a abordé sur l’application, avec qui il avait partagé par écrit et vocaux interposés, avant la rencontre, des « moments de complicité » et même des fous rires. « J’ai éclaté de rire avec la personne avant que ça m’arrive », souligne-t-il.

Depuis les faits, il s’est installé à la campagne « par peur de représailles », loin de la région parisienne. « C’est toute ma vie, tout ce que j’avais construit jusque-là, qui a été effacé, en cinq minutes, témoigne-t-il, traumatisé. On est confrontés à une violence où on se dit que, même sans rien demander, en étant juste soi, on peut mourir d’être simplement soi. »

Quatre ans après son agression, il attend encore un procès en correctionnelle et de savoir à quelle indemnisation il aura le droit. « Ça ne me rendra pas ces quatre ans », estime-t-il. Ses agresseurs ont été condamnés à plusieurs années de prison.

« La négation de notre humanité »

Comme le souligne le documentaire, ces agressions et ces crimes restent souvent invisibles parce qu’ils sont la plupart du temps traités comme des faits divers, mais aussi parce que les victimes ne portent pas plainte, par honte ou crainte que leur sexualité ne soit dévoilée. Ce 16 janvier 2023, quatre ans et demi après les faits, Vincent a encore du mal à parler de son agression, alors qu’on le voit se rendre au tribunal pour témoigner.

Avec une autre victime, Mathieu, il a été attaqué et frappé par un groupe de douze agresseurs, âgés de 12 à 20 ans, dans le parc Micaud à Besançon, un lieu de rencontres nocturne connu. Durant l’été 2018, au moins onze hommes gays y ont été victimes d’un guet-apens, explique la voix off. « C’est un truc barbare et monstrueux », résume Vincent.

« Une manifestation de haine, d’un sadisme froid, méthodique. Et une jouissance de me soumettre, de prendre son pied à humilier l’autre, décrit-il. Ce qu’on a vécu nous, c’est la négation de notre humanité. » Lors du procès tenu à huis clos, l’un des agresseurs assume ses actes violents. Vincent lui propose alors, après l’audience, de témoigner dans le film.

Les mots de Diego – à visage caché —, qui confirme avoir participé à cinq agressions cet été-là, alors qu’il est âgé de 15 ans, ne laissent aucun doute sur leur caractère homophobe. « Quand t’as 15 ans, on voit ça comment étant sale, tu vois », justifie-t-il comme il peut, à 19 ans. Adolescent, il passe ses journées à vendre de la drogue et à « faire n’imp » le soir. « Je me sens coupable, je regrette », reconnaît-il aujourd’hui. Il écopera alors de 6 mois de prison avec bracelet électronique.

Au HuffPost, la présidente de SOS Homophobie évoquait récemment le principal profil des agresseurs, dont il est question dans les rapports de l’associatin chaque année. « Il y a énormément d’effet de groupe, 50% des agressions ont lieu en groupe mixte ou d’hommes. Pour un autre tiers ce sont des hommes seuls », détaille Lucile Jomat.

Les années 90, « années noires »

Dans les années 90, « années noires », les crimes contre les homosexuels ont explosé. Un ancien chef de la brigade criminelle, Frédéric Péchenard, témoigne dans le film de ce pic de violence homophobe. « 20 % des dossiers en compte à cette époque à la Brigade criminelle concernaient des meurtres d’homosexuels », estime-t-il.

Mais bien souvent, ces affaires sont traitées dans les médias comme pouvaient l’être auparavant les féminicides, alors qualifiés de « crimes passionnels ». « On va parler de ‘rencontre qui dégénère’, confirme Matthieu Foucher, journaliste et militant, interrogé sur cette question. Il y a vraiment une manière de tourner en dérision de dédramatiser ces situations. (…) Ce sont des affaires de mœurs un peu bizarres qui tournent au meurtre. »

Si le tribunal a reconnu l’homophobie des agressions ce jour-là, ce n’est pas toujours le cas. De nombreuses victimes n’osent pas évoquer le caractère homophobe des agressions : la plupart, par honte, ne portent pas plainte et préfèrent cacher ces agressions à leurs proches ou à la police. Dans un pays où l’homosexualité a été dépénalisée en 1982, l’homophobie persiste partout, dans tous les milieux sociaux, toutes les catégories de population, toutes les régions.

Côté police, la Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT (DILCRAH) est censée sensibiliser les élèves policiers et gendarmes à ces questions lors du recueil des plaintes. Mais ces formations n’existent que depuis deux ans et les moyens et le temps qui y sont consacrés sont insuffisants.

300 victimes de guets-apens homophobes

À Marseille, Zach a eu le plus grand mal à prouver le caractère homophobe de l’agression qu’il a subie en 2017. Après avoir bu un verre dans un bar du centre-ville, il se réveillera dans une chambre d’hôtel où il vivra un calvaire, sans comprendre ce qui lui arrive. Il subira coups, viol et séquestration, perpétrés par deux légionnaires. « Dis que tu es PD ! Dis que tu es PD ! » lui intime l’un des agresseurs. « Ils m’ont fait laver mon propre sang, qui était sur les murs », raconte Zach.

Après un week-end entier de torture, il voit la police municipale passer devant la fenêtre, qui interviendra, alertée par ses cris. Cinq ans plus tard, lors du procès, les violences seront qualifiées d’homophobes, mais pas le viol. Son avocat obtiendra finalement en Cour d’assises la reconnaissance de cette circonstance aggravante du guet-apens. La circonstance aggravante d’homophobie, entrée dans le Code pénal en 2004, est-elle bien appréhendée par les magistrats ? Les preuves sont difficiles à réunir et la Justice fait souvent le choix d’autres circonstances aggravantes, qu’elle considère comme plus « visibles ».

Selon l’enquête réalisée par Mediapart, il n’existerait aucune statistique sur ces cas, qui vont parfois jusqu’au meurtre. En compilant la presse et les archives des associations LGBTQI +, les coréalisateurs ont comptabilisé 300 victimes de guet-apens homophobes depuis cinq ans, en très grande majorité des hommes gays ou bisexuels. Une victime par semaine. Pour l’année 2022, le chiffre s’élève même à une victime tous les trois jours.

Pourtant, la justice n’a prononcé que onze condamnations pour guet-apens homophobes ces quatre dernières années.

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