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Et si vous découvriez que vous êtes enceinte le jour de votre accouchement ? C’est ce que l’on appelle le déni de grossesse. Concrètement, les femmes qui en sont victimes ne reconnaissent pas, ou ne réalisent pas qu’elles sont enceintes. Comment est-ce possible ? Éclairage de Karine Denza, psychanalyste et auteure de l’ouvrage “Le double déni de grossesse”. 

Qu’est-ce qu’un déni de grossesse ?

Le déni de grossesse désigne le fait d’être enceinte sans en avoir conscience. Dans l’introduction de son ouvrage, Le double déni de grossesse, la psychanalyste Karine Denza se souvient d’un épisode marquant de sa jeunesse : le déni de grossesse d’une de ses camarades. « Elle s’appelait Corinne. Nous étions en classe de première et nous avions 17 ans chacune. Elle avait l’allure d’un garçon manqué, les cheveux toujours attachés, en jean, baskets et tee-shirt. Un jour, je ne l’ai plus vue en classe. Je me suis renseignée auprès de ma professeure qui m’a dit : Corinne était enceinte sans le savoir et elle vient d’accoucher, nous ne la verrons plus. Et effectivement, je ne l’ai jamais plus revue ».

Le déni de grossesse est encore un sujet tabou. Difficile en effet de croire qu’une femme puisse être enceinte sans s’en apercevoir.

Souvent, ces femmes ne sont pas crues ; elles sont considérées comme dissimulatrices, confirme Karine Denza. Or, dans le cas de dissimulation de grossesse, la femme se sait enceinte. La grossesse est conscientisée, mais cachée. À la différence du déni où la grossesse n’est pas conscientisée.

Déni partiel de grossesse ou déni total de grossesse ?

On parle de déni de grossesse lorsque la femme apprend qu’elle est enceinte à partir de la quatorzième semaine d’aménorrhée. Il existe deux différents types de déni : le déni partiel et le déni total.

« Le déni est dit partiel lorsqu’il est levé avant le terme de la grossesse et total lorsque la femme apprend au moment de son accouchement qu’elle est enceinte », explique Karine Denza. Selon les études menées en France sur le sujet, le déni de grossesse (total ou partiel) concernerait 1 cas sur 450 ou 500 naissances.

L’absence totale de symptômes

Lors d’un déni, les signes de grossesse – nausées, prise de poids, aménorrhée, ventre qui s’arrondit – sont absents ou bien mal interprétés. « À l’inverse de la “grossesse nerveuse“, où la femme paraît enceinte mais ne l’est pas, ici, elle ne paraît pas enceinte alors qu’elle l’est, explique le psychiatre Benoît Bayle dans sont livre Le déni de grossesse, un trouble de la gestation psychique. C’est une grossesse à “passager clandestin“. De fausses “règles” sont parfois présentes, d’autant plus facilement que la femme prend une contraception orale ou qu’elle a des saignements de début de grossesse. Elle ne prend pas de poids, voire en perd. Elle n’éprouve aucune nausée, ne les remarque pas, ou à peine. Elle ne perçoit pas le gonflement de ses seins. Elle ne sent pas son enfant bouger. Voilà donc de quoi dérouter ».

Pas de retard de règles

Effectivement, dans le déni de grossesse, le retard de règles qui conduit fréquemment une femme à consulter son gynécologue peut être inexistant. Selon une étude du Dr. Christoph Brezinka (source 1), qui a étudié ces caractéristiques chez des femmes ayant présenté un déni de grossesse partiel ou total : seulement 26 % signalaient une aménorrhée, 15 % avaient des saignements réguliers évoquant leurs règles habituelles, 7 % rapportaient des pertes sanguines continuelles et 44 % présentaient des saignements irréguliers.

Absence de signes de grossesse

Les autres signes sympathiques de la grossesse – nausées, tension mammaire, somnolence, fatigue et envies fréquentes d’uriner – ne sont pas présents et la prise de poids est faible ou nulle. Ainsi, selon l’étude du Dr. Christoph Brezinka, seules 22 % des femmesavouent avoir eu des nausées. Même les mouvements fœtaux, généralement ressentis autour de la 20e semaine de grossesse passent inaperçus ou sont interprétés comme des troubles digestifs.

« Dans le cas d’un déni de grossesse, le corps ne se métamorphose pas, confirme Karine Denza. Le bébé se place derrière les côtes, le ventre ne grossit pas, les règles sont souvent présentes, rien ne laisse présager que la femme est enceinte ou du moins les signes que le corps manifeste ne sont pas interprétés comme tels par la femme, car pour elle, c’est impensable qu’elle soit enceinte, ce n’est pas représentable ».

Qu’est-ce qui provoque un déni de grossesse ?

Le déni est un mécanisme de défense psychique très puissant.

C’est une stratégie défensive inconsciente pour protéger la mère d’une angoisse : angoisse d’enfanter, angoisse de porter un enfant, angoisse d’être mère, etc. confirme Karine Denza.

Cette peur peut être liée à un traumatisme dans l’enfance, un trouble de l’adaptation ou encore à des conflits intrapsychiques non résolus. Dans son ouvrage, la psychanalyste évoque l’exemple de Lise : « Lise a toujours pensé que la maternité était angoissante, elle ne voulait pas être mère, elle voyait cela comme « un truc immense ». Elle ne voulait pas de cette angoisse, écrit-elle. Le déni a été la meilleure façon pour elle d’être mère, car elle n’aurait jamais pu dépasser son angoisse, son traumatisme. Sans ce déni, Lise aurait sans doute avorté ou très mal vécu sa grossesse si elle avait su qu’elle était enceinte ».

Comment détecter un déni de grossesse ?

Les femmes ne présentant ni symptômesni de signes extérieurs de grossesse (ventre qui s’arrondit, prise de poids, etc.), il est très difficile de détecter un déni de grossesse. Généralement, l’entourage le plus proche ne s’aperçoit de rien et il arrive même que les médecins passent à côté d’une grossesse très avancée !

La levée du déni

Dans un déni de grossesse partiel, la femme découvre souvent qu’elle est enceinte de manière fortuite, au cours d’un examen de routine chez son médecin ou d’une visite chez son gynécologue. « Dès que la femme apprend qu’elle est enceinte – en visualisant, par exemple, les clichés échographiques – et que le déni est levé, cela libère le corps. Le ventre s’arrondit parfois en quelques heures, souligne la psychanalyste.

En revanche, dans le déni total où la femme n’apprend qu’elle est enceinte qu’au moment de l’accouchement la levée du déni de grossesse coïncidant avec la naissance de l’enfant est beaucoup plus difficile. Très souvent d’ailleurs, la mère ne reconnaît l’enfant que lorsqu’un membre de la famille vient les voir et que ce dernier reconnaît lui-même cet enfant. De ce fait, il prend une place dans la lignée familiale, la levée du déni est donc différée ».

Quels sont les facteurs de risque ?

Est-ce que certaines femmes sont plus enclines que d’autres à faire un déni de grossesse ? Karine Denza est catégorique : « Le déni touche toutes les classes sociales, toutes les femmes en âge d’enfanter, aucun critère commun ne semble exister ».

Plusieurs facteurs augmentent le risque de faire un déni. Par exemple :

  • une stérilité supposée,
  • une grossesse résultant d’une agression sexuelle,
  • un contexte familial difficile (abus sexuel ou psychologique)
  • ou encore des grossesses rapprochées.
  • Dans leur ouvrage Elles accouchent et ne sont pas enceintes, Sophie Marinopoulos et Israël Nisand ajoutent que le déni « arrive dans des milieux familiaux où règne une certaine misère affective ».

Quelles sont les répercussions sur l’enfant ?

En temps normal, la relation entre la mère et l’enfant se construit très tôt in utero. La future maman imagine son bébé, lui parle, achète des vêtements. Un lien se créé. « Au fil des mois, l’enfant attendu se fait une place dans l’histoire familiale, confie la psychanalyste. Dans le déni de grossesse partiel, la femme a le temps de faire connaissance avec son bébé. Mais, dans le déni de grossesse total, c’est plus compliqué. En l’absence de ce temps de maturation psychologique nécessaire de la grossesse, le lien peut être difficile à mettre en place. Un accompagnement de la mère et de l’enfant est alors nécessaire pour aider la maman à tisser ce lien affectif avec son bébé ».

À lire pour aller plus loin :

  • Le double déni de grossesse, Karine Denza, aux éditions L’Harmattan.
  • Le déni de grossesse, un trouble de la gestation psychique, Dr Benoît Bayle, éditions Érès.
  • Elles accouchent et ne sont pas enceintes, Sophie Marinopoulos et Israël Nisand, éditions Les liens qui libèrent.

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