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Avec le témoignage de Marie Carel, co-auteure de “J’ai aimé un pervers narcissique – La manipulation dans le couple”, aux éditions Eyrolles

La définition derrière le terme

La perversion narcissique n’est pas un trait de caractère, mais un véritable trouble de la personnalité, voire une pathologie à part entière, bien que non reconnue comme telle.

Le concept de pervers narcissique a été théorisé par le psychanalyste français Paul-Claude Racamier, comme étant “une façon organisée de se défendre de toute douleur et contradiction internes et de les expulser pour les faire couver ailleurs, tout en se survalorisant, tout cela aux dépens d’autrui”. Le psychanalyste définit également ce profil comme “une organisation durable caractérisée par la capacité à se mettre à l’abri des conflits internes, et en particulier du deuil, en se faisant valoir au détriment d’un objet manipulé comme un ustensile ou un faire-valoir”.

Le pervers narcissique va utiliser la manipulation mentale pour assujettir sa proie, sa cible, le tout dans le but de la détruire psychiquement et d’avoir une importante emprise sur elle. Ce genre de personne est évidemment toxique, puisqu’elle ne cherche pas le bonheur de l’autre, mais uniquement à assouvir son narcissisme.

Séduction, intimidation, harcèlement moral, flatteries, menaces, chantage affectif, culpabilisation, dénigrement, victimisation…sont autant de manœuvres utilisées par le pervers narcissique une fois la relation installée. Car le mode opératoire du pervers narcissique peut se résumer (de façon simplifiée bien sûr) en trois temps :

  • la phase de séduction, où il se montre sous son meilleur jour et use de ses qualités verbales et relationnelles ;
  • la phase d’invasion, où il se rend progressivement indispensable, tant au niveau économique qu’affectif ;
  • et la phase de destruction, où il se révèle sous son vrai jour et vampirise sa victime, qui s’auto-convainc de ne pas être à la hauteur. Des violences physiques peuvent alors survenir en plus des violences psychologiques.

La difficulté à reconnaître un pervers narcissique découle du fait que celui-ci agit de façon très sournoise, très progressive. Alors que la relation a tout du conte de fée au premier abord, avec un homme qui semble parfait en tous points, elle glisse peu à peu vers quelque chose de toxique, de malsain. La relation avec ce type d’individu tourne très vite au cauchemar.

En société, le pervers narcissique brille de ses talents d’orateur, de communicant. Séducteur hors pair, “beau parleur”, il est charismatique. En apparence, il a tout du prince charmant, de l’homme idéal. Peu de personnes sont alors à même de déceler chez lui une quelconque perversité narcissique, puisque celle-ci se révèle généralement dans l’intimité du couple ou du cercle familial.

Les signes pour démasquer ce manipulateur

Le pervers narcissique a constamment besoin de briller au regard des autres, d’être dans la lumière. Il est en perpétuelle quête de reconnaissance. Mégalomane, égocentrique, il a du mal avec la frustration. Dénué d’empathie, il se nourrit de ce qu’il n’a pas, qu’il trouve chez sa victime. Il fait preuve d’une immaturité figée, se conduit à la manière d’un enfant de cinq ans, du moins en termes d’empathie envers autrui.

Dans son ouvrage “Les manipulateurs sont parmi nous” (Éditions de L’Homme), paru pour la première fois en 1997, la thérapeute Isabelle Nazare-Aga a détaillé 30 caractéristiques du manipulateur. Selon elle, si un individu remplit au moins 14 de ces 30 signes, il s’agit d’un manipulateur pervers narcissique :

  1. Il culpabilise les autres au nom du lien familial, de l’amitié, de l’amour, de la conscience professionnelle ;
  2. Il reporte sa responsabilité sur les autres, ou se démet des siennes ;
  3. Il ne communique pas clairement ses demandes, ses besoins, ses sentiments et opinions ;
  4. Il entretient une communication floue ;
  5. Il change ses opinions, ses comportements, ses sentiments selon les personnes ou les situations ;
  6. Il invoque des raisons logiques pour déguiser ses demandes ;
  7. Il fait croire aux autres qu’ils doivent être parfaits, qu’ils ne doivent jamais changer d’avis, qu’ils doivent tout savoir et répondre immédiatement aux demandes et questions ;
  8. Il met en doute les qualités, la compétence, la personnalité des autres : il critique sans en avoir l’air, dévalorise et juge ;
  9. Il fait faire ses messages par autrui ;
  10. Il sème la zizanie et crée la suspicion, divise pour mieux régner ;
  11. Il sait se placer en victime pour qu’on le plaigne ;
  12. Il ignore les demandes même s’il dit s’en occuper ;
  13. Il utilise les principes moraux des autres pour assouvir ses besoins ;
  14. Il menace de façon déguisée, ou pratique un chantage ouvert ;
  15. Il change carrément de sujet au cours d’une conversation ;
  16. Il évite ou s’échappe de l’entretien, de la réunion ;
  17. Il mise sur l’ignorance des autres et fait croire en sa supériorité ;
  18. Il ment ;
  19. Il prêche le faux pour savoir le vrai ;
  20. Il est égocentrique ;
  21. Il peut être jaloux ;
  22. Il ne supporte pas la critique et nie les évidences ;
  23. Il ne tient pas compte des droits, des besoins et des désirs des autres ;
  24. Il utilise souvent le dernier moment pour ordonner ou faire agir autrui ;
  25. Son discours paraît logique ou cohérent alors que ses attitudes répondent au schéma opposé ;
  26. Il flatte pour vous plaire, fait des cadeaux, se met soudain aux petits soins pour vous ;
  27. Il produit un sentiment de malaise ou de non-liberté ;
  28. Il est parfaitement efficace pour atteindre ses propres buts mais aux dépens d’autrui ;
  29. Il nous fait faire des choses que nous n’aurions probablement pas fait de notre propre gré ;
  30. Il fait constamment l’objet des conversations, même quand il n’est pas là.

A l’évocation de son ex-mari, Marie Carel parle d’un homme sûr de lui, qui “maniait le verbe à merveille“, qui évoluait dans un poste à hautes responsabilités, et qui était beaucoup dans le paraître : “En public, il fallait faire ‘as if’, comme si tout allait bien, passer pour la femme idéale, la famille parfaite, les enfants bien élevés etc“. Son mari choisissait même ses habits (“j’étais son faire-valoir, sa marionnette, dont il maniait les ficelles à sa guise“, déplore-t-elle), et contrôlait sa consommation de pâte à tartiner via un trait au marqueur sur le pot, pour éviter qu’elle ne prenne du poids et ne colle plus à son image de femme parfaite. “Selon lui, tout était de ma faute, tout ce qui ne fonctionnait pas dans une journée était de ma faute, et j’en étais persuadée“, nous dit-elle encore, soulignant ainsi l’humiliation et la culpabilisation qu’elle subissait au quotidien, et ce puissant mécanisme d’emprise.

Les symptômes chez sa victime

Plusieurs signes peuvent laisser entrevoir que quelqu’un est victime d’un pervers narcissique. Citons notamment le fait de :

  • douter de soi et d’avoir une faible estime de soi ;
  • piétiner ses propres valeurs ;
  • penser en permanence à cette personne “pn” ;
  • la craindre et d’en avoir peur tout en ayant besoin de sa présence.

Marie Carel évoque notamment sa coupure avec son cercle familial et amical, ses troubles anxieux et psychosomatiques (des maux de dos inexpliqués), un changement de personnalité (en l’occurrence une personnalité effacée), un air absent. “On s’anesthésie émotionnellement pour supporter tout cela“, confie-t-elle, nous décrivant une situation de forte dépendance affective.

A terme, vivre avec un pervers narcissique peut conduire à la dépression, voire à des envies suicidaires, avec hélas parfois, un passage à l’acte.

Chez Marie Carel, les violences, d’abord psychologiques, sont ensuite devenues physiques. Au point qu’elle n’envisage alors que trois issues possibles : le suicide, l’internement en hôpital psychiatrique, ou la fuite. C’est cette dernière qu’elle choisira un jour où les coups ont été trop loin. Voyant sa fille de 6 ans isoler son jeune frère de la scène, Marie Carel a eu comme un électrochoc lui faisant prendre conscience de la situation. Ce n’est toutefois que des mois plus tard qu’elle parviendra à mettre des mots sur ses maux ; en cela, les groupes de parole et une prise en charge psychologique l’ont beaucoup aidé.

Pervers narcissique : et les femmes ?

Bien que l’on entende davantage parler d’hommes pervers narcissiques, peut-être parce qu’ils sont plus nombreux ou visibles, il existe bel et bien des femmes atteintes de ce trouble de la perversion narcissique.

Dans les grandes lignes, le procédé est sensiblement le même, à quelques nuances près. Les femmes perverses narcissiques sont souvent davantage dans la séduction physique que verbale, et utilisent la sexualité à leurs fins, quitte à faire du chantage à l’abstinence, pour mieux prendre le dessus sur leur victime. Elles adoptent le profil de la “femme parfaite“, soignée et coquette, bien habillée, carriériste, aux enfants bien élevés etc. Bref, elle se fait passer pour la femme idéale. En apparence en tout cas, car très vite elle révèle son vrai visage et isole sa proie : manipulations, humiliations, mensonges, culpabilisation… On retrouve les mêmes ingrédients, la même formule que chez les hommes pervers narcissiques.

Les hommes victimes de femmes “pn” auront au moins autant besoin de soutien de la part de leur entourage ou de professionnels pour sortir de cette spirale infernale, de ce cercle vicieux.

Y a-t-il un profil type de victime de “pn” ?

Il n’existe pas exactement de profil type de victime de pervers narcissique, ni de “portrait robot” de la cible parfaite du “pn”. Cela dit, de par les récits même de victimes de perversion narcissique, certains traits de caractère se dessinent. Il peut souvent s’agir de personnes en quête d’amour et d’affection, de personnes sujettes à la dépendance affective, de personnes ayant un syndrome de sauveur et une hyper-empathie, ou manquant de confiance en elles. Il pourrait s’agir de personnes en apparence très fortes, pleines de vitalité, mais qui portent en elle une fragilité, que le pervers narcissique va vite repérer et exploiter à ses fins.

Un profil type de victime, non, un moment type, peut-être, si l’on en croit le témoignage de Marie Carel. Comme les deux autres femmes avec qui elle a écrit un livre, Marie est tombée amoureuse très jeune de celui qui deviendra son bourreau. Elle estime qu’elle était alors dans une période de vulnérabilitéque l’on peut tous et toutes vivre“, faisant d’elle une “proie idéale”. Elle a également adopté une sorte de “syndrome de sauveur” face à cet homme ayant vécu une enfance visiblement difficile, un manque d’amour et d’affection.

Certains spécialistes évoquent une enfance dysfonctionnelle comme étant la cause d’une perversion narcissique. Selon les recherches menées sur cette pathologie, il s’agirait ainsi d’adultes ayant été négligés ou abusés durant l’enfance, ou au contraire ayant été des enfants surprotégés (le célèbre “enfant-roi“) et sur qui l’on a eu des attentes démesurées. Ces enfants développent alors une blessure nommée “faille narcissique” dans le jargon des psychologues. Il n’est pas rare non plus que l’adulte pervers narcissique ait grandi avec un de ses parents étant lui-même “pn”.

Ces comportements narcissiques et manipulateurs s’observeraient dès l’enfance. Autrement dit, très tôt, cet individu va développer des stratégies narcissiques et manipulatrices, pour obtenir la reconnaissance de ses parents sinon de ses amis, de ses proches, voire même de ses collègues de travail par la suite.

Un comportement amené à détruire le couple

Le ou la quitter, le mieux à faire

Qu’elle vienne de l’homme ou de la femme, la perversion narcissique, ou “pn”, peut briser un couple. C’est d’ailleurs, hélas, souvent la meilleure issue : la séparation voire le divorce.

Pour sortir définitivement de l’emprise de son “bourreau” manipulateur, la victime d’un “pn” n’a d’autre choix que de s’en séparer pour de bon. Une décision difficile à envisager au départ, qui pourtant relèvera de l’évidence au fil des étapes visant à en finir avec cette relation toxique.

Dans son livre « Le Manipulateur pervers narcissique, comment s’en libérer », aux éditions Grancher, la thérapeute Geneviève Schmit détaille trois questions qui peuvent aider les femmes victimes d’un homme pervers narcissique à comprendre qu’il faut fuir :

  1. Vous sentez-vous valorisée auprès de lui ?
  2. Vous sentez-vous réellement en sécurité auprès de lui, aussi bien physiquement qu’émotionnellement ?
  3. Pouvez-vous vous projeter dans le futur avec lui d’une manière sereine en tenant compte du fait qu’il ne changera pas ?

Si les trois questions donnent lieu à trois réponses par la négative, c’est que la séparation s’impose. Geneviève Schmit fait remarquer qu’il n’y a pas ici de notion d’amour qui tienne, puisque l’amour est absent de la relation, seule la dépendance affective est présente. Les victimes n’en ont cependant pas conscience, du moins au début de leur détachement : elles sont dans l’illusion d’aimer et d’être aimées.

De (trop) rares remises en question

Nul manipulateur ne consulte sérieusement un psychologue ou un psychiatre ! Pourquoi le ferait-il puisqu’il se sait parfait et qu’il méprise ceux qui pourraient en savoir plus que lui…“, déplore Isabelle Nazare-Aga, auteure de Les Manipulateurs sont parmi nous et de Les manipulateurs et l’amour (éditions de l’Homme), dans la préface du livre de Marie Carel.

Très rarement donc, du fait de séparations passées ou de difficultés relationnelles permanentes, il arrive que le pervers narcissique prenne conscience de sa condition, de ces comportements toxiques, et accepte de travailler sur lui pour changer les choses. Une psychothérapie peut alors être envisagée, pour l’aider à comprendre ce qui l’a rendu ainsi, et à dépasser tout cela pour retrouver des relations amoureuses et amicales plus équilibrées, plus saines.

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