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Maskot / Getty Images/Maskot salle de classe

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« La carrière des enseignants progresse, mais leur pouvoir d’achat stagne » explique Mehdi Djebarri

ENSEIGNEMENT – « Monter un escalator qui descend. » C’est l’image évocatrice qu’utilise le collectif « Nos services publics » pour décrire l’évolution salariale des enseignants du secondaire en France, entre gel du point d’indice et contexte d’inflation. Dans une enquête publiée ce jeudi 27 avril, le collectif retrace l’évolution du salaire de trois enseignants fictifs au cours de leur carrière et révèle que, malgré les augmentations régulières des passages d’échelons, leur pouvoir d’achat tend à stagner, voire baisser.

Mehdi Djebbari, qui a produit les données chiffrées et les calculs de l’étude, revient pour Le HuffPost sur ce paradoxe de la rémunération des enseignants du secondaire au cours de leur carrière.

Le HuffPost : Votre étude démontre que malgré des échelons prévus pour faire progresser leur salaire, le pouvoir d’achat des enseignants augmente très peu au long de leur carrière. Pourquoi cela ?

Mehdi Djebbari. C’est tout à fait le constat. Pour le comprendre, il faut repartir de la manière dont les carrières enseignantes sont prévues. Au long de leur carrière, les enseignants gagnent de plus en plus de points d’indice, à partir desquels leur salaire est calculé. Chaque point d’indice a une valeur en euros. Jusque dans les années 80, la valeur du point d’indice augmentait automatiquement avec l’inflation. À partir des années 2000, cette augmentation a commencé à ralentir, et en 2010, le point d’indice a été gelé, mis à part quelques exceptions. Le discours qui justifiait cette décision politique était de davantage rémunérer le « mérite personnel » des professeurs.

Le gel du point d’indice est donc le point de départ de cette stagnation pour les enseignants ?

En partie. Dans notre étude, nous suivons l’évolution de carrière et de salaire de trois enseignants fictifs entrés en fonction à des périodes différentes depuis 2000. Pour leurs trois profils, on constate qu’à part en tout début de carrière, le pouvoir d’achat stagne, voire baisse. Il suit un schéma en dents de scie : en passant un échelon, les enseignants gagnent plus de points d’indice. Mais le pouvoir d’achat lié au point d’indice diminue dans le temps, donc les gains réels associés à la progression de carrière sont de plus en plus faibles.

En clair, les gains de pouvoir d’achat qui vont avec une promotion sont annulés par l’inflation avant que l’augmentation de salaire suivante n’arrive. Donc au lieu de monter l’escalier des rémunérations, le pouvoir d’achat des professeurs tend à faire du sur place, même lorsque l’inflation est modérée comme c’était le cas entre 2010 et 2020. À partir de 2021, dans un contexte d’inflation élevée et sans revalorisation du point d’indice, le pouvoir d’achat des professeurs diminue rapidement.

On vient d’apprendre que la rémunération moyenne des enseignants devrait augmenter de 5,5 % en septembre 2023. Est-ce suffisant pour inverser cette tendance ?

On fait face au même schéma qu’en juillet 2022 : le point d’indice est gelé mais comme l’inflation est importante, la perte de pouvoir d’achat devient très visible pour les enseignants, et le gouvernement vient la colmater.

L’an dernier, le gouvernement avait annoncé une revalorisation du point d’indice qui n’était pas corrélée à l’inflation et sur moins d’un an, les gains de pouvoir d’achat apportés ont été annulés par la hausse des prix. En 2023, ce sera la même chose : pour 70 % des professeurs du secondaire, les hausses de salaire annoncées sont autour de 4 % alors que l’inflation prévue par la Banque de France est autour de 5,5 %.

On peut donc parler d’un pouvoir d’achat qui baissera de 1,5 point. Pour les 70 % des profs du secondaire concernés, le pouvoir d’achat à Noël 2023 aura baissé par rapport à janvier 2023, malgré une augmentation du salaire. Et si on compare avec le pouvoir d’achat en 2021, la baisse est encore plus importante : pour l’un des trois profils de notre étude par exemple, en 2023, le pouvoir d’achat aura baissé de 170 € par rapport à 2020, en tenant compte des dernières augmentations annoncées.

Courbes du pouvoir d’achat des enseignants
Etude de Nos services publics « Monter un escalator qui descend » Courbes du pouvoir d’achat des enseignants

Etude de Nos services publics « Monter un escalator qui descend »

Extrait de l’étude du collectif Nos Services Publics sur le pouvoir d’achat des enseignants

Les systèmes de primes mis en place ces dernières années sont donc insuffisants ?

La multiplication des primes de faible montant depuis 2021 est caractéristique de la réponse gouvernementale à l’inflation. Mais elles sont concentrées sur le début de carrière : l’apport principal du gouvernement, depuis 2021, ça a été la prime d’attractivité qui a un fonctionnement particulier. En effet, son montant diminue à mesure que l’ancienneté progresse. 30 % des enseignants les plus jeunes vont voir leur pouvoir d’achat progresser en 2023 grâce à cette prime, certes, mais rien n’est acquis, puisqu’elle baisse petit à petit.

Ce que nous constatons, c’est que ces primes successives n’empêchent pas la stagnation, puis la baisse du pouvoir d’achat des enseignants.

Quelles sont les conclusions que dresse votre étude face à ces nouvelles évolutions de carrière ?

Ce qu’on identifie fortement, c’est d’abord que les augmentations qui existent depuis 2017 n’ont pas revalorisé les carrières enseignantes. Elles n’offrent pas d’évolution de carrière cohérente, puisqu’elles ne sont pas corrélées à l’ancienneté des enseignants, leur montant et le moment où elles sont données n’est pas prévisible, et elles peuvent être provisoires. Leur logique n’est pas claire, et leurs montants ne correspondent ni au travail, ni à la qualification, ni au mérite des enseignants.

En conséquence, les carrières progressent sans progression du pouvoir d’achat, sans visibilité sur la manière dont son salaire va évoluer, et sans lisibilité. En période de crise d’attractivité de la profession et de tension, cela ne semble pas suffisant.

C’est un vrai point d’inquiétude pour le collectif. Les carrières enseignantes sont de moins en moins attractives : on le voit à la difficulté de remplacer les profs, on le voit aux désistements, au fait qu’il y ait de moins en moins de candidats aux concours de recrutement et de plus en plus de démissions avant la titularisation. Et aujourd’hui, face à la perte d’attractivité de l’enseignement, tout reste à faire.

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