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des femmes en train de jouer en compétition
Maskot / Getty Images des femmes en train de jouer en compétition

Maskot / Getty Images

40 % des joueuses ayant des interactions avec d’autres joueurs ont été victimes de sexisme.

JEUX VIDÉO – Préjugés toxiques, remarques sexistes, menaces… Alors que la pratique du jeu vidéo s’est largement démocratisée chez les Français et que le pourcentage de joueuses actives (62 %) se rapproche du pourcentage de joueurs actifs (66 %), une étude de l’Ifop publiée ce jeudi 27 avril confirme qu’un grand nombre de pratiques sexistes continuent à exister dans le monde du jeu vidéo.

Sur un panel de plus 4 000 joueurs et joueuses, l’institut de sondage, en partenariat avec Flashs et GamerTop, décortique les rapports de genre des amateurs et amatrices de jeux vidéo, et les résultats n’ont rien d’enthousiasmant, puisqu’ils mettent en lumière des préjugés sexistes assumés pour une partie des joueurs. Judith* et Jennifer Lufau, toutes deux streameuses, et Emma Beziaud le Pochat, coach d’E-sportives, ont accepté de réagir à ces chiffres pour Le HuffPost.

Des préjugés sexistes plus présents chez les « gamers » ?

L’étude de l’IFOP est sans appel : celles et ceux qui se déclarent « gamers » semblent avoir des préjugés sexistes plus ancrés que le reste de la population. Ainsi, 30 % des hommes se sentant « très gamers » déclarent que, dans la société actuelle, les femmes ont acquis trop de pouvoir (contre 15 % chez les non-gamers), et 31 % des hommes se sentant « plutôt gamers » affirment que dans un couple, il est normal que la femme effectue plus d’activités ménagères que l’homme (contre 15 % chez ceux qui ne se sentent pas gamers).

Si ces chiffres n’étonnent pas particulièrement les trois interrogées, toutes soulignent que le monde des jeux vidéo n’a pas l’apanage du machisme. « Le harcèlement que je peux vivre sur Internet ressemble à celui que je peux vivre dans la rue, les problématiques sont les mêmes », précise Judith*, forte de plus de 20 000 abonnés sur Twitch.

Emma Beziaud le Pochat, coach d’une équipe féminine au sein du plus gros club d’e-sport en France, abonde en son sens et tempère : « J’ai rarement vu le terme ‘gamer’ revendiqué chez les gens qui jouent aux jeux vidéo. C’est très daté et si on l’utilise, c’est plutôt au second degré. Donc les gens qui se déclarent gamers ne sont pas forcément représentatifs de tous les joueurs de jeux vidéo. » Mais même si corrélation n’est pas causalité, toutes les interrogées ont fait les frais du sexisme relevé par l’étude.

40 % des joueuses ayant des interactions avec d’autres joueurs ont été victimes de sexisme

Chez les joueuses ayant des interactions avec d’autres joueurs, près de 40 % des interrogées déclarent avoir déjà été victimes de sexisme. Jennifer Lufau et Judith s’étonnent que ce chiffre ne soit pas plus élevé tant les remarques misogynes semblent répandues lors des parties en multijoueurs. Jennifer Lufau, présidente de l’association Afrogameuse, en a été victime très jeune. « J’ai commencé ado à jouer à League of legend, et j’ai vite compris à quoi on voulait m’assigner parce que j’étais une femme. » Sur les serveurs vocaux, on lui intime régulièrement de « retourner dans la cuisine » en plus de lui rappeler qu’elle n’a rien à faire là.

Des remarques que connaît bien Emma Beziaud le Pochat, qui a longtemps revendiqué un bon niveau sur le multijoueur en ligne Overwatch. « À la première minute du jeu, tu dis bonjour et on te parle de ton physique, on te dit des choses salaces… En gros, on te parle de cuisine, de vaisselle et de sexe. » D’après l’étude, les joueuses sont 22 % à avoir subi des remarques, insultes et injures sexistes dans le cadre de parties.

« On ne s’habitue jamais à voir des gens commenter son physique »

Ressort classique du sexisme, les joueuses sont souvent ramenées à leur physique, parfois pour les complimenter, parfois pour les blesser. Elles sont 42 % à déclarer à l’Ifop avoir déjà subi des remarques à ce propos.

Pour Judith, dont la présence presque quotidienne sur Twitch implique une visibilité forte, cela peut être source de stress. « Quand j’ai commencé sur Twitch, j’avais 19 ans et depuis, j’ai changé de poids, changé de style, changé de déco, changé d’appart… Dans tous les cas, je me prends des remarques. On ne s’y habitue jamais à voir des gens prendre le temps de venir sur son chat et commenter son physique pour faire une remarque grossophobe. »

Elles sont par ailleurs 23 % à déclarer avoir subi des propos obscènes ou à connotation sexuelle, et 15 % à avoir reçu des menaces d’agression à caractère sexuel.

« Quand tu es une femme, jouer pour le plaisir, ça n’existe pas »

Pour 29 % des joueuses les plus investies, la question du niveau de jeu est elle aussi l’occasion de critiques sexistes sur leurs performances. « On va sans cesse sous-estimer les femmes sans avoir la moindre idée de leur niveau de jeu », décrit Jennifer Lufau. Dans le cas de mauvaises performances, les insultes misogynes sont légion. « Faire une mauvaise partie, ça arrive à tout le monde. Mais au lieu de se faire secouer en disant ‘ressaisis-toi’, on va entendre des injures sexuelles, des choses rabaissantes liées au genre… », explique Emma Beziaud le Pochat, soulignant la fréquence de ce type d’expérience. « Deux à trois parties sur cinq, peut-être », précise-t-elle, avant de déplorer les répercussions de ces comportements sur le niveau du jeu vidéo compétitif féminin : « Les gens ne comprennent pas que quand ton premier rapport au jeu, c’est un contexte dans lequel on t’insulte et on te rabaisse, tu pars de plus loin que les hommes. Beaucoup de femmes arrêtent, jouent moins, s’épuisent… »

C’est même la raison pour laquelle Judith, initialement arrivée sur Twitch pour le gaming, a presque complètement arrêté de streamer du jeu vidéo. « Quand tu es une femme, jouer pour le plaisir, ça n’existe pas : tu dois prouver que tu es performante, ou bien tu te fais insulter par les autres joueurs et par les viewers. C’était épuisant. »

Les stratégies d’évitement des joueuses

Pour éviter ça, 40 % des joueuses occasionnelles ou passionnées utilisent des stratégies d’évitement, quitte à perdre une partie de l’expérience vidéoludique. « Cacher son genre, utiliser un pseudo neutre, jouer des personnages qui ne sont pas perçus comme féminines… C’est extrêmement commun pour pouvoir jouer tranquillement », explique Jennifer Lufau.

La question du chat vocal est centrale, puisqu’il peut révéler le genre des joueurs. « Quand le chat vocal est obligatoire, j’ai la boule au ventre avant chaque partie. Je me dis ‘Allez, c’est 50/50, soit c’est des connards, soit ils sont cool. Je connais peu de femmes qui n’ont pas peur de ce harcèlement qui fait encore des ravages. » À titre personnel, elle a cessé de jouer à Overwatch car ce harcèlement devenait invivable. « Je me couchais le soir et j’étais hyper triste, ça n’avait pas de sens. »

Parler de sexisme, une conversation difficile pour les joueuses

Les joueuses le rappellent à plusieurs reprises, le sexisme n’est pas propre au monde du jeu vidéo. Mais dans le milieu, en parler reste difficile. « Le problème, c’est qu’on ne donne la parole aux streameuses que pour parler de sexisme et de harcèlement, souligne Judith. Et en réponse, quand on en parle, on se prend des vagues de harcèlement sexiste. »

Des questions de sexisme qui peuvent vite se croiser avec d’autres sujets. Jennifer Lufau en a fait le constat tant en tant que joueuse qu’avec Afrogameuse : le racisme peut aller de pair avec le sexisme. « J’ai l’habitude d’entendre des termes dégradants qui me ramènent à un animal, par exemple. » Elle rappelle que les personnes LGBT ne sont pas non plus en reste « C’est important de ne pas oublier les discriminations que vivent les personnes trans, les personnes non-binaires, qui souffrent aussi de harcèlement quand elles streament. »

Mais Judith souligne que le milieu évolue. « Il y a de plus en plus de gros influenceurs qui prennent la parole sur les questions de sexisme, et pas que. Ils prennent des initiatives pour répondre aux manques de Twitch, et ça a un impact : si les modérateurs bannissent les remarques sexistes, cela a des conséquences, et cela invite les gens à revoir leur comportement ». Une évolution que semble faire ressortir aussi l’étude de l’Ifop, puisqu’elle montre que 33 % des joueurs se déclarent féministes, soit sept points de plus que les non-joueurs.

*Le prénom a été modifié

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