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Une main de pharmacienne dans un tiroir de médicaments
Cris Cantón / Getty Images Une main de pharmacienne dans un tiroir de médicaments

Cris Cantón / Getty Images

« Impossible de trouver des pilules abortives, chez tous les grossistes de ma pharmacie » raconte Nicolas Dutriaux

AVORTEMENT – « Sous mes yeux, la pharmacienne tentait des commandes mais tout était indisponible. J’avais deux IVG prévues pour les jours suivants. » Pour Nicolas Dutriaux, sage-femme en libéral, c’est à ça que ressemble la pénurie de pilules abortives.

Le misoprostol, médicament utilisé pour 76 % des IVG médicamenteuses en France est en effet devenu difficile à se procurer dans certaines régions. Des professionnels ont confié au HuffPost l’inquiétude que cette tension sur le marché du médicament suscite pour eux.

« Cela fait deux semaines qu’on en parle, explique Laurette, conseillère au planning familial de Lille. Une sage-femme nous a appelées car elle ne trouvait pas de misoprostol dans les pharmacies lilloises. Elle était stressée, nous a demandé si on avait entendu parler de soucis d’approvisionnement. Dans les jours qui ont suivi, d’autres médecins nous ont confirmé ces difficultés. »

Sur le terrain, des difficultés d’accès qui alertent

En Île-de-France, Nicolas Dutriaux fait face à la même situation. « Je m’approvisionne chaque mois de 14 boîtes de misoprostol. La dernière fois que je suis allé chercher mon stock, il était incomplet mais la pharmacienne n’était pas inquiète : elle m’a fourni neuf boîtes en me disant de revenir quand j’aurais besoin du reste, qu’elle était censée recevoir sous 48 heures. » Mais quand trois semaines plus tard, il a besoin de ces comprimés, la pharmacienne prend conscience qu’ils ne sont jamais arrivés. « En passant des coups de téléphone, elle a fini en toute fin de journée par m’obtenir quelques boîtes pour le lendemain. »

Un coup de chance pour le sage-femme, qui lui permet d’honorer ses rendez-vous. « Mes collègues m’ont tous dit qu’ils avaient eu les mêmes problèmes. Si je n’avais pas trouvé ces boîtes, ils n’auraient pas forcément pu me dépanner, et je n’aurais pas pu prendre en charge mes patientes. » Il pense qu’il aurait pu, grâce au réseau périnatal, les renvoyer vers des professionnels ayant les comprimés nécessaires en réserve. Mais quid des suivantes ?

Une situation stressante pour les patientes et les soignants

Le message se passe rapidement au sein des réseaux de soignants. C’est le cas au REVHO, un réseau francilien qui vise à faciliter l’accès à l’IVG. Loubna Slamti, qui y exerce en tant que chargée de mission rapporte les appels décontenancés des professionnels de santé : « Leur première question, c’est : Comment on fait ? Comment on priorise les patients ? Qu’est-ce qu’on indique aux personnes qui ont besoin de ce misoprostol que nous avons tant de difficultés à trouver ?»

Et même si les déclarations du ministre de la Santé, François Braun, indiquent que les stocks de misoprostol des hôpitaux de France étaient encore suffisants, compter sur l’hôpital ne parait pas être la solution idéale. « La grande majorité des IVG se fait en médecine de ville, avec des médicaments fournis en pharmacie. Cela sert à alléger la charge qui pèse sur les hôpitaux, mais aussi à recevoir les patientes avec plus de rapidité », rappelle Nicolas Dutriaux.

Il explique en effet qu’en cas d’IVG, les patientes sont souvent animées d’un sentiment d’urgence. « L’avortement peut être une décision stressante, détaille le sage-femme. Si en plus, un médicament dont on a besoin est en pénurie, l’incertitude peut devenir encore plus angoissante, avec la peur de dépasser le délai légal de l’IVG médicamenteuse [qui est de 9 semaines d’aménorrhée, ndlr] et de devoir passer par une intervention chirurgicale. »

Ces tensions sur le marché ne semblent pas être une nouveauté pour certains praticiens. Fabien Quedeville, médecin généraliste en Île-de-France raconte avoir déjà dû reprogrammer plusieurs IVG médicamenteuses au cours de l’hiver. « Il y a eu des périodes où c’était très tendu, mais personne n’en parlait. On avait aucune info, à part la pharmacie à qui on indiquait rupture fabricant’ sans détail. »

Ça ne sert à rien de parler de constitutionnalisation de l’IVG si derrière, on ne s’assure pas de pouvoir les pratiquer. » Fabien Quedeville, médecin généraliste

En Occitanie, Anne Saint-Martin constate les mêmes défauts d’approvisionnement dès décembre 2022. À la tête du REIVOC (réseau pour faciliter la prise en charge de l’IVG en région Occitanie), elle reçoit les alertes de plusieurs médecins et sages-femmes. « Le problème s’est posé dans le Tarn, dans le Gard et particulièrement en Haute-Garonne, explique la médecin généraliste. J’ai des collègues qui ont dû faire des heures de trajet et aller jusqu’au Pays basque, voire en Espagne, pour se fournir en misoprostol. Nous avons aussi dû reprogrammer des IVG. » Le tout, sans visibilité sur les périodes de tension ni celles de retour en stock.

L’opacité de la situation génère beaucoup d’incompréhension chez les professionnels. « On s’est retrouvés au pied du mur, sans solution pour pouvoir faire notre travail » soupire Nicolas Dutriaux. Fabien Quedeville commente quant à lui avec pragmatisme : « Ça ne sert à rien de parler de constitutionnalisation de l’IVG si derrière, on ne s’assure pas de pouvoir les pratiquer. »

« Avorter peut devenir un parcours de combattante »

Pour le moment, leurs témoignages relatent une situation sous contrôle relatif : personne n’a eu écho de patientes privées d’avortement médicamenteux à cause de cette pénurie. Par communiqué de presse, le ministère de la Santé a annoncé que ces tensions étaient suivies de très près par l’agence nationale de sécurité du médicament et que des livraisons étaient en cours pour un retour à la normale sous peu.

Un discours insuffisant pour la plupart de nos interrogés, qui appellent à une réponse politique forte pour garantir le droit à l’IVG. « Nous constatons un continuum de menaces sur l’accès à l’avortement, dont les pénuries de médicaments font partie. C’est déjà difficile d’y accéder, si en plus, les sages-femmes et les médecins de ville ne peuvent plus se fournir en pharmacie, avorter peut devenir un vrai parcours de combattante », alerte auprès du HuffPost la présidente du Planning familial Sarah Durocher.

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