La phobie du travail, aussi connue soue le nom d’ergophobie, dépasse de loin l’animosité envers certain(e)s collègues, la paresse ou encore le stress à l’approche d’une échéance professionnelle importante. Les personnes qui en souffrent ne parviennent plus à se mobiliser sur un dossier et encore moins à se rendre sur leur lieu de travail ou à chercher un nouveau poste lorsqu’elles se retrouvent sans emploi.
Comment identifier ce phénomène avec certitude et le prendre en charge pour ne plus en subir les conséquences ? Réponses de Mélissa Pangny, psychologue du travail, et de Sylvie Chauvin, psychologue libérale et praticienne chez Moka. Care.
Définition : l’ergophobie, une phobie professionnelle envahissante
Le terme « ergophobie » est issu du grec ancien « érgon » (le travail) et de « phobos » (la peur). Comme son étymologie l’indique, il désigne une peur exagérée, paralysante et incontrôlable du monde du travail. Autrement dit, ce n’est pas tant la peur du travail en lui-même qui prend le dessus, mais plutôt la peur de l’univers professionnel.
« Concrètement, les personnes qui souffrent d’ergophobie peuvent ressentir une grande anxiété et un sentiment de panique à l’idée de travailler ou de chercher un emploi : la peur les tétanise et les pousse à adopter des stratégies d’évitement », explique Mélissa Pangny. Un cercle vicieux s’installe alors : plus on fuit ses collègues, ses managers et / ou son lieu de travail, moins on a envie de s’y confronter.
Les personnes qui souffrent d’ergophobie ont beau savoir que leur crainte est irrationnelle, elles sont incapables d’y faire face, souligne la psychologue.
Il faut savoir que l’ergophobie peut avoir de lourdes conséquences sur la vie professionnelle, mais aussi sur la vie personnelle de chacun(e) : elle peut limiter les opportunités d’emploi et de réussite professionnelle, amoindrir les revenus d’un foyer et causer de vives tensions avec l’entourage. C’est pourquoi il vaut mieux consulter un(e) professionnel(le) qualifiée le plus tôt possible : un(e) médecin du travail ou un(e) psychologue.
Pour info, il n’existe pas de données chiffrées précises concernant ce phénomène souvent difficile à diagnostiquer. Et ce d’autant plus que l’ergophobie peut être difficile à assumer.
Symptômes d’alerte : comment se manifeste cette peur d’aller travailler ?
Les symptômes de l’ergophobie peuvent être nombreux et survenir à n’importe quel moment de la journée, en semaine comme en week-end (le matin au réveil avant d’aller travailler, ou le dimanche soir avant la reprise du travail, par exemple). Ils varient selon les personnes concernées et peuvent parfois être très violents :
- une sensation de « boule au ventre » avant d’aller travailler ;
- une sensation de malaise accompagnée de vertiges ;
- des frissons, des sueurs froides ou au contraire des bouffées de chaleur ;
- une sensation d’oppression thoracique ;
- une augmentation de la fréquence cardiaque ;
- des troubles digestifs ou des maux de dos ;
- des crises d’angoisse ou des attaques de panique ;
- une fatigue chronique et une irritabilité exacerbée ;
- des ruminations ;
- des troubles du sommeil ;
- des troubles de l’appétit ;
- etc.
« Sur le papier ces symptômes paraissent très évocateurs : le corps tout entier est en état d’alerte. Mais en réalité il est parfois difficile d’associer ces réactions à une phobie du travail, indique Sylvie Chauvin. Le plus souvent, c’est leur temporalité qui nous met sur la piste. »
Cause de l’ergophobie : pourquoi je n’arrive plus à aller au travail et à travailler ?
L’ergophobie – comme toutes les phobies – est liée à l’histoire personnelle de chacun(e). Les facteurs déclenchants peuvent donc être très variés :
- un manque de confiance en soi ou d’estime de soi ;
- des croyances sur le travail héritées de l’enfance ;
- une charge de travail trop importante, associée à une pression hiérarchique ;
- un traumatisme ou un choc émotionnel, une humiliation ou un échec professionnel ;
- etc.
« Cette phobie peut donc se manifester suite à un évènement déclencheur en particulier, comme un burn-out ou une agression, mais peut aussi être le symptôme d’une anxiété généralisée qui envahit toutes les sphères de la vie des patient(e)s, précise Mélissa Pangny. »
Et sa consœur, Sylvie Chauvin, d’ajouter « les situations de harcèlement, les humiliations répétées et les attaques subies au travail peuvent parfois être à l’origine d’un stress post-traumatique qui génère une angoisse incontrôlable, des flash-back et des conduites d’évitement du lieu de travail ».
Certaines personnes sont-elles plus à risque de développer une ergophobie ?
Contrairement aux apparences, tout le monde peut être un jour concerné par l’ergophobie (peu importe l’âge, l’expérience ou encore le domaine d’activité). Mais comme indiqué ci-dessus, certains profils psychologiques sont plus enclins à se laisser gagner par la peur incontrôlable du monde du travail :
- les personnes qui manquent d’assurance et ont du mal à s’affirmer ;
- les personnes qui ont un besoin exacerbé de reconnaissance au travail
- ou encore les personnes qui souffrent du syndrome de l’imposteur.
Autant de « problématiques » qui peuvent être travaillées en séance avec des professionnel (le)s aguerri(e)s.
Vaincre l’ergophobie : comment faire quand on a peur de travailler ?
« Venir à bout des symptômes de l’ergophobie n’est pas suffisant, insiste Mélissa Pangny. Pour aller mieux, il faut réussir à identifier l’origine de cette phobie et ses implications : d’où vient-elle ? Pourquoi se manifeste-t-elle à tel ou tel moment ? Qu’est-ce que cela signifie ? Etc. » Ainsi on peut déterminer si cette peur s’est installée progressivement et associe la sphère personnelle, ou si elle fait suite à un traumatisme, comme un burn-out qui aurait laissé des séquelles.
L’objectif de la prise en charge est que les patient(e)s puissent exprimer leurs angoisses et leurs peurs sans se sentir stigmatisé(e)s ou isolé(e)s.
Et la psychologue de poursuivre : « Les séances consisteront à remonter le temps pour s’intéresser à leur histoire personnelle : ont-ils / elles un historique familial compliqué par rapport au travail ? Leurs parents ou leur entourage leur ont-ils / elles transmis des angoisses professionnelles qui auraient fini par devenir envahissantes ? Si c’est le cas, il faudra alors déconstruire les peurs et les fantasmes ».
Et lorsque la phobie est née d’une mauvaise expérience professionnelle ou d’un traumatisme, le travail thérapeutique consiste aussi à « reprogrammer » le vécu traumatique à l’aide de divers outils thérapeutiques, comme les TCC ou l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) qui donnent de bons résultats pour pouvoir à nouveau envisager une vie professionnelle.
« On cherche des portes de sortie pérennes, explique Sylvie Chauvin. Et si la personne est encore en emploi, le but n’est pas de s’acharner pour rester à tout prix dans une situation anxiogène. »
Le traitement médicamenteux, une béquille parfois indispensable pour s’en sortir
Et sa consœur de poursuivre : « lorsqu’on sent que le malaise est trop profond et ne s’atténue pas au bout de quelques séances, on peut rediriger les patient(e)s vers des médecins psychiatres qui seront en mesure de prescrire des médicaments anxiolytiques ou des antidépresseurs pour un temps donné ». Cette béquille chimique permet aux patient(e)s de retrouver un équilibre émotionnel pour pouvoir poursuivre son travail thérapeutique.
Par ailleurs, des alternatives comme la méditation, certaines techniques de relaxation ou la phytothérapie permettent de prendre en charge les symptômes anxieux.