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Femme devant un ordinateur avec des objets sur son bureau (pot à crayon, plantes...)
Morsa Images / Getty Images Femme devant un ordinateur avec des objets sur son bureau (pot à crayon, plantes…)

Morsa Images / Getty Images

« Ne pas avoir de place au travail, ça donne l’impression de ne pas compter, d’être remplaçable » explique Delphine

VIE DE BUREAU – « Je veux juste un coin avec des photos de mon chien et des petites plantes », soupire Capucine. Depuis la démocratisation du télétravail, son entreprise est passée en flex office, une pratique qui consiste à ne plus attribuer un bureau aux salariés, mais plutôt à laisser chacun s’installer où il le souhaite le matin et à débarrasser ses affaires chaque soir.

Pour les salariés concernés, cela signifie la fin du voisin de bureau quotidien, des dessins d’enfants sur les murs ou des succulentes à arroser de temps en temps. Un changement difficile à digérer : parmi les interrogés à ce sujet, rares sont les heureux de cette mutualisation de l’espace de travail. Pourquoi est-il aussi important de pouvoir s’approprier sa bulle au bureau ? Le HuffPost a interrogé des salariés et des psychologues du travail et recueilli leurs réponses.

Des objets qui rassurent en cas d’anxiété

Quand on aborde la question du flex office, les interrogés mentionnent en premier lieu la personnalisation de leurs espaces de travail. « Mon bureau, c’est un îlot de chez moi  au travail, pas un espace comme un autre dans l’entreprise. C’est important, j’y passe quand même trois jours par semaine. Ne pas avoir ce petit espace à moi est déprimant et usant », poursuit Capucine, technicienne dans la post-production, que le flex office prive d’« un tapis de souris coloré, d’un mug assorti… Ça n’a pas l’air, mais ça fait du bien. Je n’aime pas ranger mes affaires dans un casier tous les soirs et ne pas avoir de place fixe. »

Pour la coach et psychologue du travail Noémie Le Menn, personnaliser son lieu de travail, c’est reconstruire son univers autour de soi : « Mettre des choses qui rassurent, des photos des gens qu’on aime ou des objets qu’on connaît, c’est un comportement qui a souvent pour fonction de rassurer et de réduire l’anxiété. Ces décorations sont, en quelque sorte, des grigris. » Un constat confirmé par Capucine : « Dans mon dernier job, j’avais mon propre bureau et ma déco, c’était une vraie bouée de sauvetage pendant les journées difficiles. » Des babioles qui prouvent aussi une forme de sécurité au travail : « Si on peut laisser quelque chose qui est à nous dans un espace, et l’y retrouver à notre retour, c’est qu’il nous appartient un peu », abonde Noémie Le Menn.

« Dans l’open space, c’est Dallas »

La fin des bureaux individuels crée aussi de l’inquiétude quant aux conflits qui peuvent en découler. Particulièrement quand, dans une logique d’économies, l’entreprise prévoit moins de places que de salariés sur leur lieu de travail. C’est le cas au bureau de Lorris, qui confie n’avoir connu que des entreprises qui recourraient au flex office. « Je suis plutôt résigné quant à cette façon de fonctionner, même si je ne l’aime pas du tout », explique le jeune homme. Dans son open space, il n’y a que 35 places pour un effectif de 50 personnes. Une situation qui crée des conflits autour « des vols, de la saleté des postes de travail que tout le monde ne nettoie pas de la même manière », en plus de l’incertitude de trouver un endroit où s’installer.

Dans les bureaux de Capucine aussi, les places manquent au point de créer des « conflits géopolitiques ». Elle décrit un environnement de travail parfois hostile : « J’adore mon travail, mais dans l’open space, c’est Dallas. Il y a des guerres intestines, avec 25 places pour 40 personnes et des cliques définies. Au début, je tournais dans les bureaux en me faisant rejeter à coup de C’est la place de machinedès que j’essayais de m’asseoir. Dans une boîte remplie de trentenaires, c’est lunaire. »

Tous les postes de travail de se valent pas

Pour Daphnée Breton et Lucie Offrant, psychologues du travail, cette absence de place à soi est un vecteur d’insécurité forte au travail. « Tous les postes de travail ne se valent pas. Cela dépend de l’endroit où ils se trouvent, du bruit alentour, de leur isolement… Dans ce cas, cela peut créer un stress important, avec une logique de premier arrivé, premier servi et des salariés qui vont arriver le plus tôt possible pour s’assurer une place près de leur équipe dans de bonnes conditions… Voire pour avoir une place tout court, et ne pas avoir à rentrer chez eux faute de place. »

Une symbolique forte, comme le rappelle Noémie Le Menn : « Avoir sa place à soi, c’est un phénomène important psychologiquement. Cela reflète l’existence au sein du groupe, l’importance, l’estime de soi… À l’inverse, ne pas trouver sa place matériellement, cela peut donner une impression d’insécurité, de rejet. Ces mécanismes sont ancrés assez profondément dans nos comportements sociaux. »

Un lieu adapté à ses besoins et à son travail

Il n’y a pas que la symbolique qui inquiète. Delphine le rappelle, avoir son propre bureau, c’est aussi l’occasion d’avoir un endroit adapté à ses besoins physiques et professionnels : « Les corps et les manières de se tenir pour travailler sont tous différents, donc je tiens à ma manière d’optimiser mon petit mètre carré, avec un fauteuil et des écrans réglés à la bonne hauteur pour ne pas avoir mal au dos. En flex office, ce serait une perte de temps de refaire ça chaque jour à une place différente. » Un constat également souligné par Lorris : « Nous ne faisons pas tous les mêmes métiers, ne travaillons pas de la même manière. Ne pas avoir nos bureaux, cela nous empêche d’adapter notre espace de travail à nos besoins professionnels, c’est très inconfortable. »

Une source de souffrance au travail constatée par Daphnée Breton et Lucie Offrant. « Quand les postes de travail sont tous identiques comme en flex office, on demande aux salariés de s’adapter, au lieu d’avoir des postes de travail adaptés aux conditions de travail des salariés. Si votre environnement de travail ne correspond pas à ce qu’on attend de vous, cela génère des difficultés à faire son travail, et donc à répondre aux attentes de son employeur. C’est très stressant. »

Interrogés sur leurs conditions de travail idéales, Lorris, Delphine et Capucine répondent tous la même chose : si avoir une pièce réservée ne leur est pas indispensable, ils déclarent souhaiter un bureau à eux, adapté à leurs besoins, proche de leur équipe et décoré selon leurs goûts. Car, comme l’exprime Delphine, « on passe 5 jours par semaine, 7 heures par jour derrière nos écrans, autant avoir autour de nous des choses qui nous font sourire. Le travail, ce n’est pas seulement ce qu’on produit pour le poste, c’est aussi des histoires, des liens avec les personnes autour de nous qui finissent représentés dans des petits objets ou des blagues punaisées au mur. »

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