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La France est le pays le plus prescripteur de médicaments psychotropes en Europe.
Witthaya Prasongsin / Getty Images La France est le pays le plus prescripteur de médicaments psychotropes en Europe.

Witthaya Prasongsin / Getty Images

La France est le pays le plus prescripteur de médicaments psychotropes en Europe.

ENFANTS – Les chiffres sont alarmants. Dans son rapport publié lundi 13 mars et intitulé « Quand les enfants vont mal, comment les aider ? », le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), dresse un constat préoccupant : en France, les enfants sont de plus en plus soumis aux épisodes dépressifs ou à l’anxiété. Et en réponse, on leur prescrit de plus en plus des psychotropes, traitements normalement réservés aux adultes.

Cela concerne « des dizaines de milliers d’enfants » âgés de 6 à 17 ans, selon le rapport. Entre 2014 et 2021, le taux de consommation chez les moins de 20 ans a augmenté de 48,54 % pour les antipsychotiques, de 62,58 % pour les antidépresseurs, de 78,07 % pour les psychostimulants et de 155,48 % pour les hypnotiques et sédatifs.

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Ces chiffres font de la France le pays le plus prescripteur d’Europe. Pour essayer de comprendre ces augmentations, Le HuffPost a interrogé Sylviane Giampino, présidente du Conseil de l’enfance et de l’adolescence du HCFEA.

Le HuffPost. Que révèle, dans les grandes lignes, ce rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) ?

Sylviane Giampino. Depuis une vingtaine d’années, des constats remontent sur le déficit d’offre d’aides de proximité pour les enfants qui présentent des troubles mentaux, alors que les enfants semblent aller de plus en plus mal. Tout cela s’est accentué au moment de la crise du Covid. À partir de ces éléments, nous nous sommes penchés sur les réponses apportées aux manifestations de troubles et de souffrances psychiques chez les enfants. Si on constate que ces derniers sont plus touchés par les troubles mentaux que les adultes, ils sont aussi plus touchés que les adultes par l’augmentation des prescriptions médicamenteuses. Nous pensions que la France était plutôt un pays prudent dans les prescriptions de molécules psychotropes aux enfants, et en fait, il n’en est rien. Nos chiffres montrent que nous avons près de 5 % de la population pédiatrique qui consomme des médicaments psychotropes. Si on compare le niveau des prescriptions en France avec 59 études de prévalence extraites de 23 pays, on voit que les niveaux actuels de consommation en France sont les plus élevés en Europe.

Qu’est-ce qui explique cela ?

Les autorités de santé disent que les soins apportés aux enfants atteints de troubles mentaux doivent d’abord être psychothérapeutiques, quelles qu’en soient les modalités, avec de la psychologie, de la psychomotricité, de l’orthophonie… Et que les médicaments, eux, sont recommandés que si cela est absolument nécessaire, et en accompagnement avec les pratiques citées auparavant. Mais le constat est qu’il y a un manque d’accès à ces aides, ce qui favorise la prescription de psychotropes.

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On peut dire que les psychotropes sont une solution de « facilité » face à au manque d’aide psychologique ?

Normalement, les médicaments sont prescrits en milieu hospitalier, mais fais face au déficit d’aide, la réglementation a ouvert la possibilité que les médicaments psychotropes puissent être prescrits par des médecins généralistes. Et forcément, la détresse et l’inquiétude des familles arrivent dans le bureau du généraliste. Celui-ci n’a pas non plus la possibilité d’orienter les enfants vers des structures d’aide car on est sur des délais d’attente pour un premier rendez-vous qui peut aller de 6 à 18 mois, si ce n’est pas plus. Et là, une mécanique s’enclenche car il faut essayer d’aider l’enfant et que, oui, on a recours probablement aux médicaments par défaut.

Vous soulignez dans le rapport que depuis une vingtaine d’années les enfants sont de plus en plus atteints de troubles mentaux. Comment expliquer cela ?

Les causes n’ont pas été étudiées par le Conseil, qui a centré son étude sur comment aider les enfants. Mais il revient à tout un chacun de réfléchir à la manière dont aujourd’hui les enfants se trouvent dans des univers de vie où les temporalités sont accélérées, où la pression d’excellence pèse lourd et où les conditions sociales et de confiance en l’avenir sont clairement fragilisées. Donc il est tout à fait raisonnable de penser que les enfants absorbent tout cela.

Peut-on penser que l’on prescrit plus de médicaments car nous dépistons mieux les troubles mentaux chez les enfants ?

Cet argument ne tient pas, parce que si on dépistait mieux, nous pourrions à la fois, peut-être prescrire plus de médicaments, mais aussi développer d’autres formes d’aide et de soins. Or, ce n’est pas le cas. Ce qui au cœur du rapport du Conseil de l’enfance, c’est le déséquilibre entre l’augmentation des réponses médicamenteuses, au détriment des réponses non médicamenteuses. Alors oui, on dépiste quand même mieux qu’avant. Mais l’ensemble des professionnels qui entourent les enfants en France sont démunis. En fait, une fois qu’on a posé un diagnostic sur un enfant, les réponses pour l’aider ne suivent pas. Et ça, il faut le dire.

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Y a-t-il une catégorie d’enfants plus touchée par cette augmentation de la médication ?

Les facteurs sociaux sont des déterminants, non seulement sur l’apparition des troubles, mais aussi sur l’augmentation de la prescription des médicaments. Parmi eux, on retrouve la pauvreté ou le faible niveau économique de la famille, les maltraitances subies, des situations sociales ou familiales particulières, des discriminations… Les enfants qui relèvent de la protection de l’enfance sont aussi particulièrement exposés. Et donc, il y a une sorte de double peine pour tous ces enfants-là. On doit se mobiliser pour réduire ces facteurs sociaux de détermination des difficultés chez les enfants.

Quels sont les effets de ces médicaments psychotropes ?

Les travaux de recherche sur les effets des traitements psychotropes sur les enfants sont très peu nombreux et très peu documentés, alors qu’il y en a pléthore sur leur impact chez les adultes. Ici, nous mettons le doigt sur un problème majeur : le fait qu’il y a des décisions de politique publique concernant les enfants qui sont prises sans les données nécessaires.

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