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Depuis 1986, la saga Castlevania a gravé son nom dans l’histoire des jeux vidéo. Mais c’est en 1997 que l’opus Symphony of the Night a élevé la série au rang de chef d’œuvre. Une époque où le duo réunissant l’artiste Ayami Kojima et le producteur Koji Igarashi s’est formé. CNEWS les a rencontrés au festival Magic à Monaco.

Un visage à la pâleur spectrale, un regard qui fixe une épée tenue comme un crucifix face aux forces du mal… 25 ans après son édition, la jaquette de «Castlevania : Symphony of the Night» continue de hanter les joueurs qui ont découvert ce chef-d’œuvre sur PlayStation. Un épisode emblématique de la saga vampirique portée par Konami depuis 1986, mais aussi symbolique d’une rencontre, celle d’Ayami Kojima et de Koji Igarashi. Deux âmes réunies autour de ce jeu gothique et dont les récents travaux autour de la série Bloodstained rendent encore hommage.

Ayami Kojima, vos illustrations sont connues à travers le monde entier. Celle qui vous a le plus fait connaître est la jaquette de Castlevania Symphony of the Night. Pouvez-vous nous raconter l’histoire derrière ce dessin ?

Ayami Kojima : Lorsque le jeu était en projet, j’ai reçu une demande de la part de monsieur Koji Igarashi et du producteur du jeu. Il faut savoir qu’à la base, je dessinais des illustrations de couverture pour des romans, mais aussi à l’intérieur des pages, je n’illustrais donc pas de jeux vidéo. Monsieur Igarashi m’a alors expliqué l’univers du jeu. Et à ce moment là, je me suis dit : “oh là là ! c’est un esthète ce monsieur”. Au Japon il y a un mot “Tanbi” qui sert à décrire ce que j’ai ressenti. C’est à la fois, quelque chose de sombre mais beau. Donc c’est la beauté que l’on perçoit à travers l’obscurité. Alors je me suis dit :”bon et bien je vais changer d’univers”. Mais en même temps, je dois avouer que je n’ai pas étudié davantage l’univers du jeu. Je me suis vraiment référé à ce que m’avait décrit monsieur Igarashi donc au final, j’ai dessiné assez librement.

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© 1997 Konami

Mon univers était très loin des jeux, je n’avais jamais joué à un jeu vidéo et donc je me suis retrouvée à travailler dans ce milieu avant d’avoir touché à un seul jeu. Finalement, j’ai vraiment eu l’impression de découvrir une nouvelle culture. Je pensais : «je vis à une époque où il est possible de découvrir quelque chose de complètement nouveau». J’ai ressenti de la gratitude.

Comment est né votre amour pour l’art ?

Ayami Kojima : En réalité, je ne m’intéressais pas tant que ça à l’art en lui-même. Généralement, des dessinateurs et des dessinatrices rappellent qu’ils dessinent depuis leur enfance, mais ce n’est pas mon cas. Moi, je griffonne, je gribouille et je dessinais surtout des paysages et des animaux ou des insectes. Au Japon, lorsqu’on parle d’art, il y a une image très haut de gamme. Alors que moi, j’ai une approche beaucoup plus légère du dessin. Pour parler d’artistes que j’aime parmi d’autres, je parlerais surtout de Sotatsu Tawaraya (1570-1643), un célèbre peintre japonais, mais aussi Yoshitoshi Tsukioka (1839-1892), l’un des grands maîtres de l’estampe. Leurs œuvres ont eu un très fort impact sur moi, elles sont magnifiques et m’ont marquées. Mais aussi Goya (1746-1828), le célèbre peintre espagnol.

Avec le Kickstarter de Bloodstained, j’ai pris conscience qu’il y avait une communauté très forte de joueurs qui soutenaient ce type de jeux.Koji Igarashi

Koji Igarashi, vous avez contribué à donner ses lettres de noblesse à la saga Castlevania, avec Symphony of the Night et de nombreux épisodes suivants, mais vous avez aussi su en moderniser le concept avec la saga Bloodstained. Quel est votre meilleur souvenir après toutes ces années, mais aussi le pire ?

Koji Igarashi : Je crois que j’ai vécu mon plus mauvais souvenir quand j’ai travaillé sur Bloodstained. Parce que, jusque là j’avais travaillé chez Konami. Et je ne m’en rendais pas compte, mais chez Konami lorsqu’on envoyait une question pour un problème, on avait une réponse tout de suite et cela nous permettait d’avancer vite sur nos projets, c’était fluide. Lorsque j’ai quitté Konami et que j’ai commencé à travailler sur Bloodstained, je me suis retrouvé dans des situations où je n’avais pas de réponse ou alors il fallait attendre très longtemps avant d’en obtenir. On devait avancer à tâtons. Au final, les joueurs ne voient que le résultat mais durant la création il y a eu beaucoup de douleurs.

Et pour vous parler de mon meilleur souvenir et bien il est à mettre en lien avec la série Castlevania mais aussi Bloodstained. Il faut savoir que les ventes des jeux 2D baissaient et donc j’étais un peu inquiet. Et chez Konami aussi, les signes étaient assez négatifs sur ce point. Mais après avoir lancé en 2015 un Kickstarter pour créer Bloodstained [NDR : qui a atteint plus de 5,5 millions de dollars], j’ai pris conscience qu’il y avait une communauté très forte de joueurs et de fans qui soutenaient ce type de jeux. Je crois que c’est la chose qui m’a fait le plus plaisir.

Comment travaillez-vous sur un jeu, imaginez-vous le gameplay avant l’histoire par exemple ?

Koji Igarashi : C’est du cas par cas. La plupart du temps, c’est le concept du gameplay, puis l’histoire vient ensuite. Toutefois, il y a des cas comme celui de Castlevania : Lament of Innocence (2003) où il y avait déjà une cible d’âge prévue et les bases d’une histoire qui avaient été écrites, du coup nous avions travaillé dans l’autre sens.

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© ArtPlay Inc.

Avec Bloodstained : Ritual of the Night vous avez fait évoluer le genre et réussi à trouver un équilibre intéressant dans le gameplay. Que vouliez-vous apporter avec ce jeu ?

Koji Igarashi : Avec Bloodstained, je voulais créer une œuvre majeure, un standard du genre. Je venais de quitter Konami et les gens avaient des attentes à mon égard, «est-ce qu’il va faire au moins aussi bien depuis qu’il a quitté Konami ?». Donc c’était un challenge à relever. Mais finalement, il y a eu le Kickstarter qui m’a permis de changer la donne. Traditionnellement, dans le milieu du jeu vidéo on travaille d’abord dans le secret, puis on commence à dévoiler des éléments environ six mois, voire un an avant la sortie, quand le jeu est bien avancé. Or, avec Kickstarter on arrive avec une feuille, on explique tout ce qu’on veut faire et on dit «donnez-moi de l’argent pour le faire». Mais après on ne peut pas changer, il faut être très convaincant dès le début puis aller jusqu’au bout du projet qu’on a annoncé. J’ai aussi laissé faire mon directeur, qui est un génie, et finalement il y a eu une bonne concordance des élements.

Aimeriez-vous travailler avec votre studio pour Konami sur un nouveau Castlevania pour les 40 ans de la saga en 2026 ?

Koji Igarashi : Pour le moment, je n’ai pas entendu parler d’annonce particulière autour de ça. Mais je pense que Castlevania est une licence tellement importante pour Konami, qu’ils ne peuvent pas la laisser pourrir dans un coin.

Ayami Kojima : Oui, il serait bien qu’ils annoncent des choses.

Koji Igarashi : Je rappelle que Castlevania et Bloodstained sont un petit peu en concurrence. Mais je me dis que si je travaillais sur Castlevania – ce que dans l’absolu j’aimerais bien -, je risque de faire de l’ombre à mon propre jeu Bloodstained. C’est un dilemme intense !

Ayami Kojima : C’est aussi un dilemme pour moi, car je me dis que Castlevania est bien mais en même temps j’illustre aussi le travail de Mr Igarashi sur Bloodstained. Et en même temps, si l’on me propose peut-être que je dirais oui. Mais d’un autre côté, peut-être que ce ne serait pas mal de changer complètement d’illustrateur ou d’illustratrice.

Koji Igarashi : Ayami Kojima n’a aucune ambition ! (rires)

Ayami Kojima : Non, mais je suis paraisseuse en fait ! 

Merci à Sahé Cibot, de Shibuya Productions, pour la traduction simultanée de cette interview.

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