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« À chaque contrôle, on a peur de voir un résultat négatif et de devoir se dire “ c’est reparti pour un tour ” » explique Isabelle au HuffPost.
SANTE – « À chaque examen médical, à chaque prise de sang, on y pense. Les gens qui n’ont pas connu cette maladie chez eux ou chez un proche peuvent difficilement le comprendre. » C’est avec ces mots que Julie*, aujourd’hui en rémission d’un cancer du sein, explique le poids que peut avoir pour elle le risque d’une récidive de la maladie.
Si la rémission complète d’un cancer est synonyme de soulagement et de la fin d’un parcours de soins éprouvant, l’annonce, ce 23 avril, d’un retour du cancer du présentateur Matthieu Lartot après une rémission de 26 ans a pu susciter beaucoup d’émotions – signe que ce risque est parfois difficile à appréhender.

Entre l’angoisse de voir la maladie réapparaître à chaque examen et la reprise d’une « vie d’avant » qui n’est plus tout à fait la même, trois femmes ayant eu un cancer témoignent au HuffPost de leur rapport à cette crainte.
L’après-cancer, une frontière floue
Pour Isabelle Huet, directrice de l’association Rose Up et elle-même en rémission d’un cancer du sein depuis 9 ans, on peut difficilement mettre la maladie derrière soi du jour au lendemain. « Quand bien même on est ‘guérie’ ou en rémission, on est obligée de continuer à vivre avec le cancer : d’une part parce qu’on a une conscience accrue de sa finitude, mais aussi parce qu’on garde le risque de la récidive en tête, explique-t-elle. À la fin des traitements, on ne vous dit pas de manière tranchée ‘vous êtes guérie’ car la médecine ne peut pas le savoir avec exactitude. On doit apprendre à vivre avec ce doute dans un contexte nouveau, celui qui vient après l’hôpital. »
Les patientes sont donc dirigées vers la médecine de ville, dans certains cas pour suivre d’autres traitements, mais aussi pour des examens réguliers qui visent à suivre l’évolution de leur état de santé. Ces moments de contrôle qui vérifient l’absence de cancer dans leur organisme peuvent alors devenir des moments de grande angoisse.

« C’est une épée de Damoclès »
En 2019, Julie, est touchée par un cancer au sein droit. Un an plus tard, quand les médecins lui annoncent qu’elle est en rémission complète, elle commence à s’inquiéter pour son sein gauche. « Le cancer, c’est une épée de Damoclès qu’on a toujours au-dessus de la tête, une angoisse. À chaque contrôle, on a peur de voir un résultat négatif et de devoir se dire “ c’est reparti pour un tour ”, peur de devoir repasser par l’hôpital, par des chimios lourdes, peur de devoir remettre sa vie à l’arrêt… »
Deux ans après, au cours d’un examen de contrôle, les médecins découvrent qu’un de ses ganglions est gonflé, et on lui diagnostique un deuxième cancer, un lymphome folliculaire. « Les médicaments sont efficaces, et je n’ai pas besoin de chimio. J’ai des prises de sang tous les trois mois et un scanner tous les six mois, pour vérifier si nous ne devons pas passer à un traitement plus agressif. À chaque fois que je reçois les résultats de ces tests, je peux vous dire que j’ai besoin d’un peu de temps avant de les ouvrir. »
Une angoisse que partage Élise, plus connue sous le pseudonyme d’Eli_fight sur les réseaux sociaux. À 21 ans, elle a été diagnostiquée d’un lymphome de Hodgkin il y a près de trois ans. Quand après 6 mois de chimio très difficile et un protocole de radiothérapie, on lui apprend par courrier qu’elle est en rémission complète, son soulagement la bouleverse.

Une crainte permanente
La jeune femme prend cependant rapidement conscience des conséquences physiques et psychiques de son cancer. Certaines maladies bénignes peuvent désormais être une source d’angoisse : « Parmi les symptômes de mon cancer, il y avait le fait d’avoir des ganglions gonflés, des sueurs nocturnes, de la fatigue. Alors, quand un petit rhume a des effets similaires, c’est vite anxiogène. »
Elle explique avoir peur de la récidive en permanence, en partie parce que les effets secondaires de son traitement la rappellent à sa maladie. « La chimio a eu des effets toxiques sur mon cœur, et on m’a diagnostiqué une tachycardie de Bouveret. La radiothérapie augmente le risque de cancer du sein… Même si je suis en rémission depuis 2020, il y a toujours quelque chose qui me rattrape, comme pour me rappeler que j’ai eu un cancer, que ce n’est pas rien. Et si un jour, dans quelques années, j’avais d’autres problèmes ? On sait très bien que le risque zéro n’existe pas. »
« Je n’étais plus la même personne ».
Tenant à être positive, Élise revient rapidement sur les changements qui ont eu lieu dans sa vie depuis sa maladie. « Je me suis dit ‘Je suis débarrassée, je reprends ma vie où j’en étais’, mais je n’étais plus la même personne, confie-t-elle. La rémission complète, ça a été le début de ma deuxième vie. »

Elle poursuit : « Bien sûr que personne ne dira jamais ‘J’ai eu un cancer, c’est super’, et ce n’est clairement pas la meilleure expérience de ma vie. Mais disons que depuis, je me suis recentrée sur certaines priorités, j’ai découvert qui étaient mes vrais amis. Je sais que si je n’avais pas été diagnostiquée correctement, j’aurais pu mourir de ce cancer à 18 ans. »
Une évolution qu’a aussi vécue Julie, qui souligne à quel point envisager la récidive a influencé sa manière de penser. « Je travaille beaucoup sur ces angoisses, et je suis suivie par un psychiatre. J’ai aussi commencé à prendre des médicaments, même si je n’en avais pas envie parce que sinon, je tombais un peu dans la déprime. J’écris aussi dans un journal intime, j’extériorise beaucoup ce que je ressens. » Elle tempère cependant : « Au-delà du stress, je vis ma vie autrement. Je dépense plus mon argent, par exemple ! Je pense plus à mes proches, je vis un peu plus au jour le jour. »
Le besoin d’en parler
Toutes décrivent un long cheminement physique et psychologique, au cours duquel elles ont ressenti le besoin d’en parler : avec un public sur les réseaux sociaux, pour Élise, ou au sein d’associations, comme Isabelle Huet et Julie.

« Quand on apprend sa maladie, on a tout un protocole, l’hôpital, des interlocuteurs. Et quand tout s’arrête, c’est un peu bizarre. Il ne faut pas avoir peur de demander de l’aide » explique Isabelle Huet, avant de rappeler : « Le soin dont on peut avoir besoin dans l’après cancer, qu’il soit physique ou psychologique, n’est pas à portée de toutes les bourses. À l’heure actuelle, peu de moyens sont mis en œuvre alors que 3,8 millions de personnes en France vivent avec un diagnostic de cancer. »
* Le prénom a été modifié
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